LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Faillir être flingué" - Céline Minard

Goulûment...

"Doucement", m'exhortais-je, "prends ton temps... à te précipiter ainsi, tu vas t'emmêler les pinceaux. Tu le vois bien, quand même, que la Minard, elle fait débouler ses personnages dans son histoire comme des boules dans un jeu de quilles -et non pas comme des chiens, parce qu'ils y ont leur place, dans l'histoire-, tu commences déjà à ne plus savoir qui a fait quoi, qui connaît qui, qui vient d'où... Et puis mince, pose-toi, pour une fois, cesse de gober les phrases sans prendre à peine le temps de respirer, arrête d'engloutir les pages avec cette boulimie à mon avis pathologique, tu vas arriver à la fin avant même d'avoir eu le temps de sympathiser avec le beau Zébulon ou cette étrange petite sauvage. Bon sang, ça se déguste, un texte pareil, apprécie la façon dont toutes les circonvolutions finissent par se rejoindre, attarde-toi sur la beauté de son écriture"...

Je n'ai pas su me retenir, me raisonner, écouter les conseils de cette lectrice idéale qui sommeille en moi et ne se réveillera sans doute complètement jamais, celle qui relit trois fois le même paragraphe pour s'imprégner de la beauté du texte, qui peut de mémoire citer des passages entiers de ses romans préférés, ou qui se souvient de la manière dont se termine un livre lu quelques mois auparavant. J'ai dévalé "Faillir être flingué", à l'image de ses héros qui, à pieds ou à cheval (plus souvent à cheval, d'ailleurs, la plupart n'ont pas l'âme d'un piéton), cavalent à la poursuite de quelqu'un ou de quelque chose, à moins qu'ils ne cherchent eux-mêmes à fuir...

Mais je ne regrette rien. 

Même si j'ai sans doute déjà oublié certaines subtilités de l'intrigue, je sais que je garderai encore longtemps en moi l'impression d'effrayante et grisante immensité qu'inspirent ces vastes plaines désertes fouettées par les vents, battues par des orages d'où émergent des visions, ainsi que le sentiment de la force du lien qui semble connecter les êtres avec une forme d'ancestralité, leur permettant par exemple d'apprivoiser des chevaux sauvages.

Je n'oublierai pas de sitôt ces héros à la gâchette facile et au poing prompt, à la fois vagabonds et bâtisseurs, capables de jouer leur vie aux cartes comme de pleurer au son d'une contrebasse ou de s'émouvoir du chuintement d'un ruisseau. 

Je serai éternellement reconnaissante à Céline Minard d'avoir su satisfaire à la fois mon penchant nostalgique, peut-être même puéril, pour le western, et mon besoin de complexité et de poésie. D'avoir su exhumer, avec un naturel déroutant, de la virilité un peu tapageuse d'un monde de brutes, la sensibilité, la candeur des rêves que cache le cœur de tout homme. 

Le roman de Céline Minard ne se résume pas... si je vous dis qu'il y est question d'indiens et de cow-boys, d'un saloon et de ses filles, de bagarres et d'amour, vous n'aurez pas l'once d'une idée de sa richesse. Épopée où se mêlent lyrisme et surnaturel, où chaque acte, chaque émotion semblent parés d'une intensité qui éveille instantanément des images à l'esprit, où la sorcellerie se fait bienveillante, source de connexion entre les individus, où la nature et les êtres semblent avoir trouvé un terrain d'entente, "Faillir être flingué" est un grand, grand moment de lecture, qui laisse longtemps incrusté en vous comme la réminiscence d'une musique qui vous emporte et vous bouleverse tout à la fois.


J'ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Moglug, un plaisir que j'espère partagé... D'ailleurs, je la remercie, c'est son récent avis sur le dernier roman de cette même Céline Minard (qui est aussi désormais sur ma PAL) qui m'a incitée à sortir ce merveilleux roman de mes étagères !!

Commentaires

  1. Ma lecture a été plus mitigée, parce que plus frustrante. Je n'avais pas l'esprit disponible pour une telle richesse. Mais ça n'enlève rien au livre qui est excellent !!
    D'ailleurs, si tu aimes les westerns, la poésie, les connexions entre les individus, tu devrais trouver ton compte dans Le sillage de l'oubli de Bruce Machart si tu ne l'as pas déjà lu. ;)

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  2. Soupirs de regrets ... Mais pourquoi l'ai-je déjà lu ???? Ah rencontrer à nouveau Zébulon ... Les autres aussi, et les paysages aussi, d'accord, mais surtout Zébulon ... Je l'aime d'amour presque autant qu'Angustus de Lonesome Dove ...
    Un texte magnifique, en tant cas, mais depuis, j'ai réussi à être à chaque fois déçue par d'autres titres de l'auteure, notamment "So long Louise" ... Rien compris !

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    1. Mince, alors... j'ai acheté Le grand jeu, qui a l'air complètement différent. A voir...
      Et je note Lonesome Dove (connais pas..)

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    2. Je n'ai pas lu "Le grand jeu", j'hésite, je verrai avec ton avis, alors ... "Lonesome Dove", c'est du nanan quand on aime le genre western !

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  3. Le livre semble passionnant… Combien de pages fait-il ? Je ne connaissais pas l'auteur, mais je vais me renseigner… Goran de http://deslivresetdesfilms.com

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    1. Oui, il est passionnant, et il compte un peu plus de 300 pages (format poche), mais on aimerait bien qu'il en ait plus !

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  4. Waouh. Tu donnes clairement envie de s'y plonger...

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    1. Et bien il faut y aller, et sans bouée, encore !
      Bonne baignade !

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  5. j'ai été déçue par Le Grand jeu qui m'est tombé des mains tellement j'ai trouvé ça incohérent et artificiel que pour lire encore cet auteur, il va me falloir du courage...

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    1. J'ai conscience que Le grand jeu est complètement différent, et que je risque d'être déçue (ou pas..). A l'inverse, ce serait dommage que tu te prives d'un moment d'intense plaisir à cause de cette mauvaise expérience !!

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  6. Jusqu'à présent, je me disais que je ne lirai pas ce roman, peur de ne pas aimer, lu trop de critiques négatives et puis ta critique !!! Et maintenant, je me dis, et bien pourquoi pas ? Il est sûrement à la médiathèque, je ne risque rien à le prendre en main ! Merci pour cette chronique !

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